Un outil de décryptage pour amateurs de football

Footoscope offre une perspective sur la morphologie et tactiques d'une équipe de football à partir de données de jeu (par ex. passes entre joueurs, position sur le terrain, temps de jeu) transformées en indicateurs et visualisations. Nous avons prototypé cet outil afin de permettre aux amateurs de football de devenir des 'footoscopistes' qui décryptent par eux-même les bases de données statistiques sur des équipes qu'ils connaissent ou qu'ils veulent découvrir.

L'interface permet de sélectionner une équipe et ses joueurs pour :

  1. Découvrir la morphologie d'une équipe émergeant des données de positionnement de ses joueurs.
  2. Observer les flux dans l'équipe basés sur la transmission du ballon. Les arcs du réseau représentent la proportion de passes entre joueurs mesurée sur un ensemble d'une compétition, par match ou par minute.
  3. Décrypter l'importance de chaque joueur dans le jeu d'équipe à partir de son habilité à distribuer la balle (indicateur "d'intermédiarité" affiché par la taille du rond représentant chaque joueur).
  4. Estimer la propagation du ballon après 2 passes à partir d'un joueur, utile pour comprendre l'orientation du jeu.

Manipuler la donnée pour découvrir un système

Si les infographies et autres visualisations de données s'imposent depuis quelques années dans les études et les médias, elles restent cependant non-manipulables par les non-spécialistes. Ceux-ci doivent du coup se contenter des décryptages officiels qui leur sont proposés. Qui plus est, les analyses accessibles se révèlent volontairement assez pauvres sur le plan qualitatif, préférant déléguer le décryptage tactique à des consultants-experts et journalistes spécialisés.

A l'heure de la collecte grandissante de données, cette capacité des personnes intéressées à contextualiser elles-mêmes l'information représente une nouvelle frontière à franchir. Mettre à disposition des outils aux utilisateurs pour manier ces données apparait pertinent comme moyen d'enseigner la logique systémique des organisations. Et ce, en permettant d'explorer et de découvrir les interactions qui composent un système, qu'il s'agisse d'une ville, d'une organisation ou d'une équipe de football (voir Passer aux stats supérieures )

Exemple : Décryptages de la Coupe du Monde 2010

Footoscope a une double vocation : d'abord footballistique, en démontrant les perspectives qu'offriraient la démocratisation d'une telle application en terme d'expérience médiatico-sportive ; mais plus largement statistique, en démontrant la facilité d'utilisation de cet outil pour produire des analyses particulièrement affinées, au-delà du seul cas footballistique.

Mélangeant connaissance du terrain, compte-rendus d'époque (principalement sur le site de référence ZonalMarking), et la manipulation des données statistiques FIFA avec Footoscope, Philippe GAROV offre quelques décryptage présentant la Coupe du Monde 2010 sous un regard amateur mais averti. Ces textes témoignent du potentiel de l'application comme outil de décryptage de données statistiques qui réussit à préserver leur complexité tout en facilitant leur manipulation. Accéder à Footscope Coupe du Monde 2010.

Les éléments de l'interface du prototype. Cliquer pour agrandir

A notre sujet

La collecte et l'analyse de données statistiques est en plein essor, et représente à n'en point douter un enjeu majeur du monde de demain. Nos activités au Near Future Laboratory, nous amènent régulièrement à traiter les implications de cette évolution, particulièrement dans le domaine de la ville et ses services. Nos travaux demandent une appréhension de l'espace, des réseaux qui le compose et des comportements humains s'y déploient. C'est sous ces mêmes perspectives que nous aimons explorer d'autres sujets comme le sport ici en collaboration avec le cabinet [pop-up] urbain. Dans ce projet, nous faisons dialoguer la connaissance du terrain avec des outils de décryptage intelligibles reposant sur le prototypage et la visualisation d'informations. Contact: info@footoscope.com

Au sujet de Philippe Gargov

Outre ses activités de conseil en prospective avec le cabinet [pop-up] urbain, Philippe GARGOV édite depuis janvier 2012 le blog de tactique Football totalitaire, et contribue depuis à divers médias spécialisés (Cahiers du Football, analyse de l'Euro 2012 sur LeMonde.fr) A ce titre, il est régulièrement amené à décrypter le jeu d'une équipe au moyen d'applications visualization de données. Malgré leurs qualités, celles-ci se révèlent malheureusement trop limitées pour véritablement mettre en valeur les subtilités d'un match, d'une équipe ou d'un joueur.

Bastian Schweinsteiger : la perfection du milieu de terrain

Positionnement et jeu de passe de Schweinsteiger. Cliquer pour agrandir

Peu de joueurs peuvent se targuer de synthétiser aussi bien le rôle de milieu de terrain que Bastian SCHWEINSTEIGER lors de cette Coupe du Monde 2010. Littéralement positionné au cœur du jeu, dans le rond central, son jeu de passe dessine une « toile d'araignée » presque parfaite. Avec son aisance technique, le Munichois distille le jeu avec précision, en fonction des courses et des oppositions adverses, rythmant ainsi le jeu de son équipe selon les phases et les stratégies qu'elles impliquent (possession de balle, jeu en retrait, projection vers l'avant, etc). L'homogénéité des passes vers ses coéquipiers traduit graphiquement cette capacité à remplir l'ensemble des responsabilités qui lui incombent, et plus précisément le partage des tâches au milieu de terrain avec KHEDIRA en récupérateur polyvalent : un gratteur de ballons s'autorisant quelques percussions vers l'avant, quand SCHWEINSTEIGER privilégie l'orchestration des mouvements par la variété de ses passes.

Corée du Nord : la polarisation contre-productive

Positionnement et jeu de passe de An Yong Ha. Cliquer pour agrandir

Positionnement et jeu de passe de Stankovic. Cliquer pour agrandir

La qualité de SCHWEINSTEIGER se révèle encore mieux par comparaison avec d'autres joueurs aux qualités sinon similaires, au moins équivalentes en termes de volume de jeu. Volontairement, nous avons pris un joueur au talent moindre mais dont les responsabilités au sein de son équipe sont au moins aussi lourdes que celles de l'Allemand. Ainsi, le Nord-Coréen AN Yong-Ha présente par exemple un profil similaire à celui de SCHWEINSTEIGER, du moins graphiquement : on retrouve par exemple une même homogénéité dans la distribution des passes - dans une autre configuration offensive toutefois, compte-tenu de la formation Nord-Coréenne qui ne compte pas d'ailiers mais deux attaquants de pointe.

Une partie des problèmes de l'équipe, lors de la Coupe du Monde, vient justement de cette absence dans les couloirs et de cette densification en pointe, qui tire inévitablement l'orientation du système dans l'axe, au détriment d'un certain équilibre spatial sur les côtés.

Conséquence direct pour le « chef d'orchestre » situé dans le rond central : l'essentiel des ballons doivent passer par lui, faute de combinaisons dans d'autres secteurs de jeu (une-deux dans les couloirs, jeu en pivot des attaquants, etc.) AN Yong-Ha phagocyte ainsi sans le vouloir le cœur du jeu, là où SCHWEINSTEIGER est au contraire dans la valorisation de ses partenaires, et en particulier des trois milieux offensifs qui composent une formation en 4-2-3-1 (dans le cas allemand : PODOLSKI et MUELLER sur les ailes, et OEZIL dans l'axe) Pour la Corée du Nord, cette polarisation extrême du milieu de terrain se traduit alors inévitablement par un manque de créativité, certes au profit d'une discipline tactique intéressante, mais au détriment d'une certaine imprévisibilité qui avait fait son succès par le passé.

A noter que l'on retrouve des limitations similaires dans le jeu de la Serbie, avec comme joueur analogue le milieu STANKOVIC. Comme pour la Corée du Nord, la polarisation du jeu autour de ce seul chef d'orchestre résulte par un manque d'efficacité offensive. Sans relai vers ses attaquants, son positionnement moyen implique d'ailleurs un rallongement des passes (logiquement plus faciles à intercepter), ou de se reposer sur des exploits offensifs. Quelle que soit la tactique choisie, le front de l'attaque se retrouve inévitablement sevrée de bons ballons, et donc d'opportunités de but. Certains voyaient en la Serbie un possible outsider intéressant : son échec au premier tour de la Coupe du Monde résulte entre autres de ses carences tactiques.

Busquets, la clé de voûte

Positionnement et jeu de passe de Busquests. Cliquer pour agrandir

BUSQUETS est l'un des joueurs les plus intéressants de ces dernières années, en particulier à Barcelone où son entraîneur Pep Guardiola l'a façonné comme mètre-étalon du milieu de terrain (lire Guardiola, le football sans attaquant). Son rôle, en 2010, témoigne de cette vocation, encore en maturation à l'époque. Certains consultants sportifs l'ont d'ailleurs baptisé « The Busquets Role » quelques mois plus tard, en référence au « Makelele Role » qui avait pris son nom du milieu français lorsqu'il jouait à Chelsea. Pour aller vite, le « Busquets Role » s'appuie sur deux responsabilités majeures. La première réside dans le positionnement du joueur, qui resdescend s'intercaler entre ses deux défenseurs centraux lorsque l'équipe passe en phase offensive et que les latéraux (ici CAPDEVILA et RAMOS) montent dans leur couloir. On voit nettement, dans le diagramme espagnol, l'écartement de PUYOL et PIQUE qui doit nécessairement être protégé d'une possible contre-attaque adverse ; c'est le rôle de BUSQUETS.

La seconde responsabilité s'observe quant à elle dans l'importance du BUSQUETS comme tête de pont des offensives espagnoles. Si le joueur est resté dans l'ombre de ses partenaires XAVI et INIESTA voire XABI ALONSO (ou de concurrents plus ou moins directs tels que SCHWEINSTEIGER), son rôle a pourtant été essentiel dans la victoire espagnole. Son diagramme permet ainsi d'observer la manière dont ses passes (particulièrement diversifiées, à la manière d'un SCHWEINSTEIGER) se voient fructifiées par ses partenaires. On lui retrouve une même influence dans la valorisation des joueurs techniques en second rideau.

En creux, cette fructification ne peut que traduire la qualité des passes offertes par BUSQUETS, qui répondent de manière optimale aux besoins d'un joueur offensif à l'instant de son appel. En résumé, le « Busquets Role » mérite plus que tout autre la qualification de clé de voûte : garantissant d'un côté la solidité défensive de la ligne arrière (et donc la montée sereine des latéraux), et de l'autre la mise en mouvement des lignes offensives, en véritable dynamiteur reculé grâce à ses premières passes. Un rôle moins valorisé mais pourtant essentiel à la fondation d'une équipe idéale.

Veron contre l'Argentine, l'ivresse de la réussite ?

Positionnement moyen et je de passe de Veron. Cliquer pour agrandir

Sebastian VERON fut pour nous l'un des joueurs les plus fascinants de cette Coupe du Monde. La légende argentine, qui a définitivement pris sa retraite cette année, était en 2010 au sommet de son art. Son record de passes contre la Grèce témoigne en sa faveur : 153 passes tentées pour 133 réussies, record inégalé en Coupe du Monde depuis l'enregistrement de ces statistiques, en 1966. L'adversaire était certes faible, mais quand même. Le plus intéressant dans le jeu de VERON tient surtout à son positionnement, très haut sur le terrain en comparaison de joueurs au profil similaire. C'est d'ailleurs ce qui aura causé, entre autres facteurs, la chute d'une équipe argentine décidément trop déséquilibrée.

Lors de sa défaite cinglante contre l'Allemagne, en quart de final, VERON n'était justement pas titulaire. Conséquence directe de cette absence, l'ensemble de l'équipe et plus particulièrement du secteur offensif s'est vu ébranlée dans ses fondations. On se souvient de Messi, contraint de redescendre chercher le ballon particulièrement bas (au niveau du rond central) pour le remonter lui-même sur le front de l'attaque, avec les limites que cela suppose en termes d'efficacité offensive (voir l'exemple de HONDA ci-dessous) Or, qui mieux que VERON pouvait jouer ce rôle de « piston » entre le milieu et l'attaque ? Si toutes les faiblesses de l'Argentine ne tiennent pas en cette absence notable, nul doute qu'elle aura contribué au déséquilibre de l'équipe. Pour avoir voulu se passer d'un joueur plus « lent » au profit d'une attaque plus sémillante – sur le papier –, le sélectionneur Maradonna aura en tous cas prouvé qu'en football comme pour toute architecture réticulaire, tout est question d'équilibre.

Suisse, cas d'espaces

Morphologie de l'équipe de Suisse. Cliquer pour agrandir

La Suisse aura marqué les insolites de cette Coupe du Monde en étant la seule équipe à battre le futur champion (1-0 contre l'Espagne lors de leur premier match de poule… sur un but rocambolesque) Pour autant, l'équipe se sera révélée assez décevante en termes de jeu, et son architecture d'équipe y est pour beaucoup. En ce sens, la Suisse présente le mérite d'être un intéressant cas d'école des difficultés à gérer l'équilibre des distances entre les joueurs.

Ainsi, la Suisse laisse apparaître un étirement assez important au niveau de la ligne médiane, soulignant une capacité potentielle à étirer le bloc-équipe adverse. Problème, cette élasticité doit nécessairement être mise à profit par les joueurs offensifs situés dans la moitié de terrain adverse, sous peine de la rendre contre-productive… Ce qui est évidemment le cas de la Suisse. Pour être véritablement efficiente, la latéralité de la ligne médiane doit être complétée par une verticalité des joueurs de couloir, afin d'exploiter les espaces crées par l'étirement du bloc adverse. Or, le diagramme d'équipe souligne la proximité de BERNETTA et FERNANDES, et leur faible apport offensif (on les retrouve au même niveau que les latéraux LICHSTEINER et ZIEGLER), témoignant d'une incapacité à profiter des trous.

On remarquera aussi que ce déséquilibre latéralité / verticalité se traduit indirectement par un médiocre partage des rôles entre INLER et HAEGGEL, ce dernier étant quasiment absent de la construction du jeu suisse (on prendra en contre-exemple positif le duo SCHWEISTEIGER / KHEDIRA, particulièrement bien équilibré – voir précédement) En somme, l'inefficacité offensive de la Suisse réside dans l'incapacité à faire fructifier une bonne idée (l'étirement horizontal de la formation), faute de joueurs idoines et peut-être d'une certaine rigueur tactique. Un cas d'espèce de cas d'espaces.

Pepe, Mendes : joueurs jumeaux ?

Positionnement et jeu de passe de Pepe. Cliquer pour agrandir

Positionnement et jeu de passe de Mendes. Cliquer pour agrandir

Il est fascinant de constater la proximité des profils de Pedro MENDES et PEPE pour l'équipe du Portugal. Les deux milieux axiaux se sont en effet répartis les matchs : les deux premiers pour l'un, les deux derniers pour l'autre. Les deux joueurs sont à ce point jumeau qu'ils se superposent sur la cartographie du terrain. Cette similarité témoigne de la discipline de deux joueurs dans le respect des consignes de positionnement, qui déterminent le bon fonctionnement de l'équipe (qui plus est, compte-tenu de leur rôle dans le contrôle du milieu). Mais on aurait tort de s'arrêter à cette proximité. La différence entre les deux profils est ténue mais significative : le jeu de passe de PEPE, qui dévoile une vocation plus offensive que son homologue, notamment dans une triangulaire avec les deux autres milieux (THIAGO - MEIRELES) Ces deux-là sont en outre les deux seuls milieux un tant soit peu désaxés. En effet, on ne peut que constater combien le trident offensif portugais (RONALDO - ALMEIDA - SIMAO) se retrouve à jouer dans un mouchoir de poche autour du point de penalty. Cette concentration des joueurs dans l'axe, qui permet certes de jouer dans de petits périmètres, limite de facto la capacité du Portugal à élargir son jeu si nécessaire, qui repose alors sur la capacité de THIAGO et MEIRELES à recevoir de bons ballons. Dans cette perspective, PEPE joue un rôle-clé pour amener le jeu sur le front excentré de l'attaque, plutôt que directement dans l'axe. Un rôle que ne remplit pas aussi bien Pedro MENDES, qui joue davantage vers l'arrière et nuit ainsi à la capacité de l'équipe à se projeter vers l'avant. Son remplacement par PEPE, après deux matchs, traduit très certainement la prise en compte de cette donnée par le coach Carlos Queiroz.

Keisuke Honda : le Messi nippon ?

Morphologie de l'équipe du Japon basée sur Honda. Cliquer pour agrandir

Positionnement et jeu de passe de Okubo. Cliquer pour agrandir

Positionnement et jeu de passe de Matsui. Cliquer pour agrandir

Positionnement et jeu de passe de Honda. Cliquer pour agrandir

La position de Keisuke HONDA est particulièrement remarquable dans le système de jeu japonais. Habituel milieu droit de l'équipe, la jeune recrue du CSKA Moscou est repositionné seul en pointe par son entraîneur quelques heures à peine avant le début de la compétition. Le Japon venait alors d'essuyer quatre défaites en autant de match de préparation, et le sélectionneur Takeshi Okada décide de tenter le tout pour le tout. Avec un succès inespéré : le Japon se qualifie pour les huitièmes de finale grâce à deux victoires dans une poule pourtant jugée difficile (lire Takeshi Okada, 10e meilleur entraîneur de la Coupe du Monde). HONDA marque deux des quatre buts de son équipe ; il est même nommé trois fois homme du match, sur quatre rencontres. Comment expliquer ce succès aussi fulgurant d'inattendu ? Tout repose ici sur la position du joueur par rapport aux défenses adverses.

Alors qu'un attaquant traditionnel préfère attendre les ballons sur la ligne des défenseurs, en misant sur des qualités de vitesse et de percussion, un milieu tel que Keisuke HONDA préférera utiliser ses talents de dribbleur-passeur pour le récupérer plus bas et effectuer une partie de la remontée lui-même. C'est ce qu'indique sa position très reculée, comparée à celle d'autres numéro 9 habituels. On retrouve d'ailleurs dans ses déplacements l'héritage de sa position d'origine, légèrement excentré et recevant donc davantage de ballons depuis les joueurs occupant la moitié droite du terrain (KOMANO et MATSUI sur les ailes).

Une telle orientation du jeu est relativement naturelle, compte-tenu du peu de préparation du néo-buteur à ce poste. Elle est notamment compensée par le positionnement très haut du latéral gauche NAGAMOTO, qui joue presque au niveau de son ailier. Conséquence de cet écart sur la droite, ces deux joueurs n'auront joué qu'une proportion plus minoritaire de ballons vers leur attaquant, préférant joindre leur milieu axial ENDO, plus accessible.

Mais la véritable clé du positionnement d'HONDA tient à son rôle dans l'animation offensive, et que traduit parfaitement l'importance du cercle qui le représente (cf. variable "Intermédiarité") Contrairement à une majorité d'attaquants plus traditionnels, HONDA participe grandement à la distribution du jeu, jouant dos au but en délivrant des passes à ses partenaires du milieu de terrain. On remarquera d'ailleurs que la majorité de ses passes sont jouées vers ENDO, milieu axial situé dans la moitié gauche (homologue d'HASEBE, excentré dans la moitié droite) ; suivent MATSUI et OKUBO, les deux ailiers. Dans cette perspective, HONDA occupe un poste éminemment moderne, baptisé "faux numéro 9", et figure de proue du football dit "sans attaquant".

Cette formule désigne un rôle hybride mêlant les responsabilités d'une pointe ("numéro 9") et d'un animateur jouant habituellement derrière la pointe ("numéro 10") ; on parle aussi, dans certains cas, de "9½" pour désigner cette position. Sur cette Coupe du Monde, HONDA en a été la meilleure illustration. Puisqu'il n'a pas de pointe jouant devant lui, le faux numéro 9 met ses talents techniques au profit de la remontée du bloc-équipe, jouant en pivot pour réorienter le jeu. C'est notamment ce qui permet à l'équipe de rester aussi compacte, comparée à d'autres : tous les joueurs tiennent approximativement dans un cercle presque parfait.

Ce rôle, d'abord expérimenté avec TOTTI à la Roma quelques années auparavant (2007/2008), s'était progressivement démocratisé dans les grands clubs européens, sur des matchs ponctuels. Mais c'est à Barcelone qu'il a connu ses lettres de noblesse, avec le repositionnement de MESSI par Pep Guardiola dans l'axe à partir du printemps 2009. Un an et quelques mois plus tard, HONDA joue donc le même rôle que l'Argentin, avec lequel il partage d'ailleurs une spécificité : les deux sont des gauchers jouant habituellement ailiers droits. HONDA devient ainsi le premier "faux attaquant" à jouer en compétition internationale, et avec succès. Clin d'oeil de l'histoire : deux ans ont suivi, et le flambeau a depuis été repris par une Espagne aux allures très catalanes : c'est précisément avec cette formation qu'elle vient de gagner l'Euro 2012, FABREGAS occupant cette fonction de faux numéro 9. De fait, la position reculée de Keisuke HONDA, peu remarquée à l'époque, préfigurait une nouvelle ère du football moderne faite d'hybridation des rôles offensifs et de positionnements contre-intuitifs (lire Chronique tactique : l'Espagne, miroir du football de demain ?.